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Kim Thúy, auteure québécoise d'origine vietnamienne

Kim Thúy est une auteure franco-québécoise. Elle a immigré en tant que réfugiée au Canada il y a plusieurs années. Elle nous raconte son parcours dans ses livres Ru et Mãn. En voici un extrait :

Ce matin-là, il m’avait écrit de son téléphone : « connaissez-vous le mot « appréhension »? ». J’ignorais la signification de ce mot, mais sans savoir, je l’habitais déjà.

Il y a plusieurs de ces mots que je tente de comprendre par leur sonorité, comme « colossal », « disjoncter », « apostille », et d’autres par la texture, la forme. Pour saisir les nuances entre deux mots cousins, par exemple, pour distinguer la mélancolie du chagrin, je pèse chacun d’eux. Quand je les tiens dans mes paumes, l’un semble planer comme une fumée grise alors que l’autre se comprime en boucle d’acier. Je devine, je tâte, et la réponse est aussi souvent la bonne que la mauvaise. Je fais constamment des erreurs et jusqu’à ce jour, la plus étonnante a porté sur le mot « rebelle », que je croyais être un dérivé de belle : être belle de nouveau parce que la beauté s’acquiert et se perd. Maman me répétait souvent qu’en cas de conflit, il vaut mieux se retirer qu’insulter quelqu’un, même si celui-ci se révèle fautif. Si nous éclaboussons l’autre, nous salissons notre bouche puisque nous devons d’abord la remplir de colère, de sang, de venin. Dès lors, nous cessons d’être belle. Je croyais que le « re » du mot « rebelle » ouvrait la possibilité d’une rédemption ; celle qui nous permettait de retrouver notre beauté d’avant.

Kim Thúy, Mãn, p.93

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